être en un lieu (début sept. 2008) - rendu d'expression
A l'exercice plastique (voir billet précédent) s'ajoutait un exercice "littéraire" de transcription de la sensation du lieu :
" Menace
imminente dans le ciel : l’orage plane au-dessus du pont du Cusset. Pour
les automobilistes, il semble que l’ouvrage constitue une porte principale pour
effectuer la jonction entre Vaulx-en-Velin et Lyon et traverser alors le canal
du Jonage en moins d’une minute. Pour les piétons, qui eux arrivent depuis un
quartier résidentiel aux rues étroites et silencieuses, ce pont ne leur donne
aucun repère urbain, longue traversée uniforme vers un lointain incertain,
comme une grande zone de friche brutale dans laquelle on entre sans aucune transition.
L’accès y est compliqué : il est d’abord nécessaire de franchir une
première zone de ponts routiers sur lesquelles on s’élève, puis traverser une
entrée du périphérique lyonnais ne possédant pas de passage piéton. Il faut se
frayer un chemin parmi un flot de voitures, s’opposer au vent, rendu plus
violent dans cet espace découvert et vaste, soulevant les masses d’arbres vert
froid d’une manière quasi mécanique, dangereuse, en écho avec le béton, avant d’arriver
sur le pont dominant l’eau qui s’écoule en tourbillons.
maud sur le pont :)
Visite
du pont de Cusset
"Mon premier aperçu du pont fut au volant : nous l’avons emprunté
pour trouver où se garer sur l’autre rive. Et j’étais déçue. Des routes, des
voitures, du goudron, je trouvais ça laid et je me demandais bien quelle
émotion je pourrais ressentir autre que du dégoût pour les constructions
« modernes »… La voiture rangée, je me hâte vers le pont, décidée tout
de même à découvrir le lieu ; espoir tenace d’être encore émerveillée. Et
ce fut le cas. Le premier canal que le pont traverse est une autoroute chargée
de véhicules. Cette autoroute est droite et file au loin, si loin qu’elle me
donne envie de partir. Un vieux désir se réveille en moi : celui de voler…
Le temps tempétueux soutenu par le bruit incessant des voitures
contribue à cela. Le vent souffle fort dans mon dos comme pour me pousser et me
dire d’y aller. Les nuages foncés donnent de la force, du caractère au
paysage ; ils font monter en moi une sorte de colère, ou plutôt, un
bouillonnement du cœur, d’excitation. Je désire. Je veux. Quoi ? Je ne
sais pas. Peut-être simplement voler. Il existe un mot en allemand qui n’a pas
son équivalent en français : Sehnsucht. C’est le désir, la nostalgie. pour
moi, c’est aussi la sensation d’être un humain et dons incapable de s’envoler,
bien attaché à notre condition charnelle. A ce moment-là, j’étais sehnsuchtig.
Je continue ma marche sur le pont. Là, le vrai canal. Magnifique. Toute
une palette de gris portée par le vert des arbres argentés et le bleu de l’eau
impétueuse. Et bien-sûr, le gris du ciel. un ciel mouillé comme une aquarelle.
J’admire. J’aime ces gris qui me font plonger dans une mélancolie songeuse.
C’est un moment de solitude et de contemplation. Car, paradoxalement, le bruit
assourdissant des voitures créé une espèce de silence propice à la solitude. Il
est comme le flux et le reflux des vagues ou comme l’écoulement d’une rivière.
Ce lieu est une superposition de différents canaux. D’ailleurs, ce pont
me fait penser au pont des soupirs à Venise : j’ai l’impression d’être
dans une galerie au dessus de l’eau. Cette sensation est due aux fils
électriques qui longent le pont au-dessus de nos têtes et aux nuages sombres si
bas qu’ils emblent former un toit protecteur.
L’obscurité grandit encore, les phares commencent à s’allumer. Le pont
chevauche une dernière route plus petit et donc moins intéressante. Je
retourne, fascinée par les contrastes entre ténèbres et lumière : le noir
du ciel et les différents gris d’une part, et la lumière des phares et les
eclairs d’autre part. Ces éclairs rajoutent à l’intensité du moment, à la force
décapante du vent.
Je croise des gens, des visages. Ils sont comme des miroirs qui me rappellent que je ne pourrai jamais voler et que mes hallucinations doivent s’arrêter là. Je rentre peu à peu vers la voiture et la réalité en regardant sans les voir les maisons alentour, l’esprit et le corps vidés par la puissance de ce qui vient de les traverser."
(maud Duphil)
comme pour le billet précédent, ces exemples NE constituent PAS des modèles, mais des réactions des élèves par rapport à l'exercice proposé.