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c(ai)² - bicursus ECL-ENSAL
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16 septembre 2010

Château de Fléchères

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Le château de Fléchères est situé à une trentaine de kms de Lyon, juste à côté de Villefranche, sur la commune de Fareins. Il a été construit au 17ème siècle, reprenant l'emplacement d'une forteresse médiévale qui commandait la voie romaine tout près. Celle-ci reliait la Dombes au Beaujolais et franchissait la Saône à un 1 km de Fléchères, au gué de Grelonge (la Saône était guéable à cette lointaine époque). Jean Sève, prévôt des marchands de Lyon, l'a fait édifier. Dans le contexte local, il est inhabituel qu'un bourgeois étale sa richesse à travers la construction d'un tel édifice (on étend plutôt son propre hôtel à Lyon).

En réalité, ce que l'on prend aujourd'hui pour un château 'cache' en fait un temple protestant. Jean Sève, chef de file des protestants lyonnais, a permis à la ville d'être rattaché à la royauté d'Henri IV (elle était indépendante avant). Il désire offrir un lieu de culte à sa communauté. Conformément à l'édit de Nantes, ce lieu est placé à au moins 30kms d'une ville, et aucun signe religieux n'est visible. On a donc affaire au cas tout à fait extraordinaire d'un bâtiment qui masque sa fonction. Ou plutôt qui remplit deux fonctions à la fois, puisqu'il abrite aussi les appartements privés du bourgeois et sa famille.

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Quelques signes dénotent pourtant de l'usage de l'endroit : les 7 fenêtres renverraient aux chiffres bibliques (7 jours etc) et, surtout, les 3 lucarnes élancées représenteraient la Trinité. Cœur de l'édifice, le Temple occupe la totalité du dernier étage du corps central et permettait d'accueil 200 personnes pour l'office. Le second étage de ce même corps de bâtiment abrite la salle du consistoire, où le pasteur s'occupe des affaires civiles avec ses paroissiens. L'escalier central participe aussi au sens sacré : il est 'ouvert à la moderne'. Il se développe donc autour d'un vide central. Celui-ci met directement en relation le visiteur qui pénètre au rez-de-chaussée avec Dieu, au troisième étage. Pour la précision culturelle, un escalier à la 'moderne' se distingue d'un escalier à l'italienne (deux volées contigües) et d'un escalier à la française (colimaçon). Les ailes latérales du château, qui sont modestes par rapport au corps principal (maison de Dieu), abritent les 8 appartements privés. La composition obéit donc à un ensemble  cohérent de significations. Chaque geste architectural rentre dans ce système signifiant. Bonne leçon pour l'étudiant architecte...

Pour l'amateur d'art, le château a la particularité d'avoir été décoré de fresques en 1632 par un artiste italien, Pietro Ricci. Ce choix s'explique par une volonté 'de reconnaissance' : Jean Sève prétendait descendre d'une prestigieuse famille italienne (ce qui était complètement faux). Celui lui permettait d'asseoir son prestige. Cette filiation fut en effet reconnue plus tard ! Le décor peint, conservé miraculeusement à travers le temps (sous des boiseries ou du plâtre), est peu à restitué par la restauration. Il déploie un programme en articulation avec la vocation du lieu. Les fresques de chasses symbolisent la chasse aux pêchés. Le cerf représente la mélancolie (fait d'être asocial), la panthère, l'illusion des sens (en référence à une croyance : l'animal était trompé par son reflet dans un miroir et prise au piège), le lion, l'orgueil et le sanglier les 'bas instincts'. La salle des perspectives renvoient à l'illusion des sens. La salle des vertus cardinales lui succède (tempérance, justice, prudence, force).

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fresque des chasses au pêché

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hercule et l'hydre de Lerne

Deux salles, sans doute les plus extraordinaires, ont un contenu plus politique : la salle de la parade et celle des Travaux d'Hercule. La première renvoie à la parade organisée par Jean Sève pour l'entrée triomphale d'Henri IV dans Lyon, qui marque, rappelons-le, l'entrée de la ville dans le royaume de France. Les hommes d'armes effectuent une véritable danse colorée.  Jean Sève s'y est sans doute fait représenté (il serait le personnage portant la houppette blanche du royaume de Henri IV). Plus étrange, la salle des Travaux d'Hercule est un hommage à Henri IV, qui descendrait d'Hercule... Ce choix a été fait par la royauté pour 'promouvoir', si vous me permettez le terme, Henri IV, fort impopulaire (puisque initialement protestant). Il est représenté dans cette salle portant les colonnes de Gibraltar. Mais Ricci exécute sa commande à sa manière , préoccupé pus par l'esthétisme : le dynamisme de la composition est tout à fait baroque, porté par un rouge sombre et des grisailles. Au-dessus des fresques principales, on trouve toute une série de tableaux secondaires (qu'on peut qualifier de vaguement érotique) évoquant d'autres épisodes d'Hercule. L'atmosphère résultant des grandes scènes et des petits tableaux est tout à fait étrange. D'ailleurs, on sent partout le peintre peu concerné par le contexte politico-religieux dans lequel il débarque : Ricci semble plus se faire plaisir et développer son art, le programme est un prétexte. C'est une interprétation personnelle.

Une visite qui vaut tout à fait le détour, pour la forte cohérence architecturale (entre composition extérieure, intérieure, décors). Ce petit article ne donne que l'essentiel et il resterait beaucoup de choses à dire. Le touriste pourra aussi profiter d'un parc bien agréable de 40 Ha et du chemin de halage restauré le long de la Saône toute proche. Eh oui, ce Blog sent le tourisme : mais l'été (et les vacances) ne sont pas encore bien loin, non ?

 

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décor de l'escalier (qui reprend un décor parisien qui ornait les appartements d'Anne d'Autriche)

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salle des perspectives

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