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c(ai)² - bicursus ECL-ENSAL
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4 août 2010

"Architectes & ingénieurs, double formation ?"

En cette période d'inscription au double cursus, voici un témoignage de Tristan Guilloux (DREAL Picardie), lu lors du séminaire organisé par l'ENSAL autour des double-cursus, qui peut vous aider dans la compréhension de ce profil particulier d'ingénieur//architecte. Le témoignage est bien sûr publié avec son autorisation.

Contribution à la réflexion - Tristan GUILLOUX

Le "double-cursus" TPE-Archi a été mis en place au tout début des années 1990, et j'ai dû être parmi les tout-premiers a bénéficier de cette possibilité de mener en parallèle les formations à l'ENTPE et dans ce qui était alors l'EAL.

En parallèle est une expression qui, si elle convient peut-être à l'approche institutionnelle, n'est pas exacte pour ce qui concerne les enseignements. Je dirai plutôt que les formations ont été complémentaires et même se sont nourries l'une de l'autre.

Complémentaires, bien évidemment puisque les champs investigués ne se recouvraient pas pour l'essentiel. Mais, j'insisterai ici davantage sur la manière dont les formations se sont nourries l'une l'autre. Deux exemples me viennent à l'esprit. L'un concernant un domaine d'études commun : la structure, l'autre, une méthode de travail : le projet.

L'approche du fonctionnement de structures diverge profondément dans les deux formations.
En école d'ingénieur, elle est abordée de façon algébrique, par la mise en équation des phénomènes qui permettent de modéliser le comportement des structures sous l'effet des contraintes. Il arrive que cette modélisation soit rendue visuellement, mais souvent sous la forme d'abaque. Cette méthode est efficace dans la mesure où elle permet d'arriver rapidement à un dimensionnement d'une structure préalablement imaginée.

En école d'architecture, l'enseignement apporté - et je me souviens ici des cours de M. Flach - insistait d'abord sur la visualisation des forces en présence et la manière dont elles prenaient place dans l'espace par l'intermédiaire de la matière. J'étais en présence d'une approche que je qualifierais d'abord de géométrique, dont le premier enjeu était non de dimensionner, mais de faire émerger une forme de structure. Il était alors évident que l'approche géométrique informait l'approche calculatoire qui en retour confirmait l'intuition formelle.
Cette première expérience permettait d'envisager la dimension systémique de la conception, parfois vue de façon trop linéaire en école d'ingénieur (d'un point A à un point B, final) ou de façon trop séquentielle dans une approche plus formelle, l'intuition ne venant pas à être confrontée à la modélisation du réel.
Mais elle m'a également permis d'identifier les enjeux formels et idéologiques que peuvent sous-tendre des structures qui dans une approche d'ingénieur peuvent apparaître comme neutres. Les travaux pratiques effectués avec les enseignants du LAF sur les structures de S. Calatrava furent à cet égard édifiants. Les structures dessinées pour l'aéroport de Lyon ne "fonctionnaient" pas comme leur dessin semblait l'indiquer. Les "indices" formels laissés par Calatrava disaient autre chose qu'un fonctionnement rationaliste où la mise en œuvre de la matière serait censée être la traduction la plus juste (la plus comptable devrais-je dire) des forces en présence. L'étude du fonctionnement des structures de la gare mettaient en évident la dimension expressionniste de l'œuvre de Calatrava, bien éloignée d'une "rationalité" étroite que l'on pourrait naïvement attendre d'un architecte-ingénieur.

Le deuxième exemple concerne le processus de travail qu'est le projet. L'approche par projet existe dans les deux entités et est revendiquée comme telle. Il s'agit bien dans les deux cas de l'organisation d'un certain nombre de tâches dans une perspective définies mais les attendus ne sont pas les mêmes. mais cette appellation ne recouvre pas les mêmes réalités. Le programme est à la base du processus de projet dans l'école d'ingénieur, c'est la commande qui initie tout et dont tout découle pourvu que l'on sache rassembler les compétences et les outils. La puissance de ce processus vient de la capacité à problématiser la situation, à la décomposer en unités résolvables. Puis vient le temps de la synthèse, qui rassemble les morceaux... et qui donne un résultat satisfaisant pourvu qu'on ait trouvé une "colle" qui ne laisse pas trop de traces.

En commençant par pratiquer ainsi en arrivant à l'école d'architecture, j'ai pu rapidement mesurer l'impasse à laquelle une telle approche conduisait pour réaliser un projet architectural. Très vite, j'ai dû me rendre à l'évidence qu'il était urgent d'avoir une idée, un concept qui sous-tendrait la réponse au programme et un parti qui serait la mise en forme des "parties" pour former un tout (voire même qui établirait une relation entre les parties et le tout). Et ensuite seulement, venait le temps d'expérimenter l'idée au travers du programme qui m'était donné, l'arbitrage étant souvent effectué par le site dans lequel il était projeté d'implanter le programme; mais, évidemment à ce compte et pour éviter une remise en cause globale de l'idée première, le programme y laissait parfois des plumes... et le projet ne prenait pas toujours son envol.

Cette tension entre les deux approches est bien évidemment celle qui existe, qui doit exister, entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'œuvre. Et la double formation m'a apporté ce regard sur cette nécessaire tension, sur les inévitables frottements voire les confrontations. Elle m'a appris que le mépris mutuel parfois entretenu - comme un lieu commun fainéant- entre les deux professions et les deux positions était inutile à partir du moment où l'on accepte la nécessaire confrontation à l'altérité.

Elle m'a aussi alerté sur les dangers qui guettent ceux qui croient pouvoir investir le champ de l'autre et faire l'économie de la rencontre. Très récemment, j'ai été appelé par de jeunes étudiants en IUT de Génie Civil auxquels on avait donné un programme - une bibliothèque U et un amphithéâtre- et auquel on leur avait demandé de "dessiner" un projet. L'intention était louable puisque le projet pédagogique visait à montrer la complexité de la conception d'un espace. Elle s'inscrivait dans un objectif de mise en condition "empathique" avec le métier d'architecte. Mais, elle laissait croire que l'architecture pouvait assez facilement se décliner comme "mise en forme" d'un programme.
Bien évidemment ma première approche fut de les aider à trouver des "solutions" spatiales, ou plutôt de les aider à formuler des réponses. Mais dès qu'un équilibre fut atteint, je me suis employé à le déconstruire, à montrer que tout ce qu'on avait dessiné était faux, voire accessoire. Que l'essentiel, ce n'était pas les gradins de l'amphithéâtre mais le seuil du bâtiment et la séquence qui amenait au noir de la salle, que la qualité de l'usage d'une bibliothèque tenait, entre autres, à la manière dont les reliures de livres sagement alignés prenaient la lumière, qu'un escalier était autant un espace qu'une liaison entre espaces ; on a ainsi vu que l'escalier central du Palais Garnier prenait une place que l'on aurait pu considérer comme sur-dimensionnée par rapport au programme d'une salle de spectacle. Un choc !

Je crois donc qu'il est important que les deux formations puissent être en condition de pouvoir se côtoyer en permanence. Un projet pédagogique ne doit pas passer par une mise en condition empathique -permettant à un moment ou à un autre de jouer à la place de l'autre- mais par une mise en situation relationnelle. Autant dire que je crois qu'au-delà des double-cursus, il y aurait tout intérêt à développer des projets pédagogiques communs aux deux écoles.

Paris, le 15 juin 2010

le témoignage en pdf :eventensal_seminaireDC_tristanguilloux

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